La Dynastie Brueghel
Pinacothèque de Paris, du 7 octobre 2013 au 2 mars 2014par Mme Karin de Cassini, Conférencière nationale, diplômée d’Etat
Les peintres témoins de leur temps
Les bouleversements technologiques actuels nous font oublier le rôle que jouait encore l’artiste il y a à peine un siècle. Aujourd’hui, chacun de nous devient le propre témoin de son temps grâce au numérique et à la vidéo, aux smartphone que nous possédons tous. (…)
Les trois expositions, constituant la trilogie présentée aujourd’hui par la Pinacothèque de Paris, rappellent que le peintre, et lui seul, était capable de fournir un témoignage visuel d’un événement avant l’avènement de la photographie. Ce rôle lui incombait sans même qu’il en ait totalement conscience. Tout le rapport à la réalité ne se faisait que par son truchement exclusif. Sans la photographie, l’artiste se devait de montrer ce qui se passait autour de lui. (…)
La dynastie Brueghel représente un cas à la fois passionnant et central. Cette famille exceptionnelle va développer durant trois générations les représentations les plus symptomatiques d’une époque, d’un mode de vie et de coutumes dans toute une région, les Flandres et le Nord de l’Europe. (…)
(…) Brueghel débute sa formation auprès de son beau-père, le maniériste anversois Pieter Coeck d’Alost (œuvre n° 2, L’Adoration des Mages, L’Annonciation et la Nativité). Conformément à la tradition de l’époque, il effectue un séjour en Italie où il demeure ébahi par la force des paysages. Mais Brueghel prend la décision de ne pas adhérer au maniérisme italien : il se détourne donc de l’héroïsme, de l’exaltation idéale de l’homme et de la sacralisation pour suivre ses propres codes esthétiques.
À la différence de Jérôme Bosch, dont il semble être le seul héritier, Pieter Brueghel l’Ancien choisit de représenter le monde de ses contemporains, des paysans auprès desquels il aimait séjourner, dans des paysages adaptés aux dimensions humaines : pour la première fois, le monde rural devient le sujet de la peinture. Inventeur d’un univers fourmillant de vie, animé, détaillé et décoratif, il est surnommé Brueghel l’Ancien, le Rustique, le Drôle, et connaît un véritable succès. Les collectionneurs admirent son talent de paysagiste, ses vues enneigées, sa précision et la portée morale de ses œuvres.
Peu de peintures de Pieter Brueghel nous sont parvenues. Ce sont ses suiveurs et ses héritiers qui vont perpétuer cette manière unique de représenter les réalités du monde moderne. À l’origine d’une véritable dynastie de peintre, Pieter Brueghel et ses suiveurs vont apporter l’une des innovations les plus importantes de l’histoire de l’Art moderne : l’élaboration d’une réflexion autour de l’homme et de sa place au sein de la nature.
Le voyage effectué par Pieter Brueghel l’Ancien en Italie, en 1552, lui fait découvrir une nature majestueuse et triomphante, assumant la dignité du sujet. Dans ses œuvres, le paysage n’est plus uniquement un simple fond décoratif, il s’émancipe de toute forme de narration et devient le sujet principal des recherches. L’humanité se voit dès lors réduite dans ses proportions. L’opposition est notable en regard de la peinture italienne, où le paysage est utilisé pour mettre en valeur l’humanité héroïsée. Il s’agit en partie de l’impact de la Réforme protestante et de la réflexion sur l’humilité de l’homme face à la création divine. (…)
Source : Marc Restellini (extraits du catalogue)