Paul Durand-Ruel, le pari de l’impressionnisme
Exposition au Musée du Luxembourg du 15 octobre 2014 au 8 février 2015.Par Mme Sandrine Faucher, historienne de l’Art, Conférencière Nationale.
En savoir plus« L’exposition actuelle au Musée du Luxembourg est « nouvelle » par rapport aux expositions habituelles sur les impressionnistes. D’abord parce qu’elle aborde l’impressionnisme par un biais original, celui de son plus grand marchand : Paul Durand-Ruel. Et ensuite parce qu’à travers lui, elle montre à quel point ce mouvement, mit du temps à s‘imposer, suscita d’abord la risée et les critiques et faillit provoquer, à plusieurs reprises, la ruine du marchand.
Né en 1831, Paul Durand-Ruel, (Grâces lui soient rendues, biographie de P. Assouline), était lui-même le fils d’un des plus grands galeristes d’art en Europe. Dans un premier temps, il envisageait plutôt une carrière militaire ou religieuse. Mais lors de l’Exposition universelle de 1855, il vit une série de tableaux de Delacroix qui lui fit l’effet d’une révélation. Il décida alors de rejoindre son père et, à la mort de celui-ci, en 1865, dirigea tout seul la galerie.
Il défendit d’abord les peintres de ce qu’il appelait le « belle époque de 1830 », c’est-à-dire les romantiques comme Delacroix, mais aussi l’Ecole de Barbizon (Rousseau, Corot, Millet) et les réalistes (Courbet, Daumier).
Mais en 1870, il se réfugie à Londres où il retrouve Daubigny qui le met en contact avec Monet et Pissarro. Il commence à leur acheter des œuvres, ainsi qu’à Sisley, Degas et, dans une moindre mesure, Renoir et Berthe Morisot, il visite en 1872 l’atelier de Manet et lui achète 21 toiles d’un coup. Il devient, dès lors, le marchand des impressionnistes, qualificatif que tout le monde lui accorde lorsqu’il organise en 1876, dans sa galerie, une exposition qui rassemble 250 œuvres de 19 artistes associés.
Par la suite, Durand-Ruel est confronté à une grave crise financière, car les œuvres ne se vendent pas. Mais au début des années 1880, grâce à de nouveaux apports financiers, il reprend ses achats et consacre même des expositions individuelles, pratique tout à fait inhabituelle. Il se lance également dans la recherche de nouveaux marchés, à Berlin et Boston et ouvre une galerie à New York, à Londres et Bruxelles. Il devient l’interlocuteur privilégié de riches amateurs américains qui constituent d’importantes collections d’œuvres impressionnistes.
Cette conquête du marché du Nouveau Monde lui offre une reconnaissance internationale. Point d’orgue de ce triomphe : Durand-Ruel organise en 1905, aux Grafton Galleries de Londres, la ville où tout a commencé.
Ce qui fascine, chez Paul Durand-Ruel, ce sont ses méthodes qui en font le premier marchand moderne de l’histoire de l’art. Outre le fait d’organiser des expositions individuelles, il a établi un lien avec les artistes qui lui permet d’obtenir l’exclusivité de leur travail. En échange d’un droit de premier regard sur leurs créations, et tant que ses moyens le lui permettent, il leur verse une somme mensuelle et va jusqu’à régler leurs fournitures, voire leurs loyers, leurs notes de tailleurs ou de médecins. Il les protège, les défend et les respecte, même s’il ne partage pas leurs idées (c’est un royaliste convaincu, antidreyfusard et catholique fervent, mais il se bat pour le communard Courbet, le républicain athée Monet ou l’anarchiste juif Pissarro). Il associe le monde de l’art à celui des finances, n’hésitant pas à chercher des soutiens auprès des banquiers et des grands investisseurs (et dans des opérations parfois périlleuses qui lui font prendre beaucoup de risques). Il est le premier, enfin, à comprendre que l’art ne peut tirer son épingle du jeu que dans un réseau international de galeries et de collectionneurs et à éditer des revues qui diffuse et promeuvent le travail des artistes.
Si on veut connaître encore plus de secrets sur ce marchand visionnaire, on peut aussi lire ses mémoires qui viennent de paraître chez Flammarion, une édition par deux de ses descendants, Paul-Louis et Flavie Durand-Ruel. On y rentre encore plus avant dans les détails de cette vie passionnante et tumultueuse, menée pourtant par le plus conservateur des hommes (un « vieux Chouan » comme le surnommait Renoir). »
Source :http://larepubliquedelart.com/paul-durand-ruel-premier-marchand-moderne/PatrickScemama 8.10.