Vincent Van Gogh/Antonin Artaud. Le suicidé de la sociéte
Exposition au Musée d'Orsay du 11 mars au 6 juillet 2014par M. Christian Monjou, Professeur de Khâgne au lycée Henri IV et chargé de cours à l’agrégation ENS Ulm.
En savoir plus« En 1947, Antonin Artaud écrit un texte magnifique sur le peintre hollandais. Qui sert de fil rouge à une exposition non moins passionnante sur le peintre hollandais au musée d’Orsay. C’est la rencontre de deux folies qui ne ressemblent pas.
Alors qu’il vient de passer plusieurs années à l’hôpital psychiatrique de Rodez où on lui a infligé une cinquantaine d’électrochocs, Antonin Artaud visite à Paris une exposition consacrée à Van Gogh. La vue de ces tableaux lui inspire un texte qu’il écrit : ce sera « Le suicidé de la société », un jet de lave où il accuse pêle-mêle la société, le frère du peintre et le docteur Gachet (chez qui Vincent a passé les derniers jours de son existence, à Auvers-sur-Oise) d’être responsables de la mort prématurée de l’artiste. Affirmant ainsi que « c’est pourtant bien après une conversation avec le docteur Gachet que Van Gogh, comme si de rien n’était, est rentré dans sa chambre et s’est suicidé ».
Artaud sait de quoi il parle : « J’ai passé 9 ans moi-même dans un asile d’aliénés et je n’ai jamais eu l’obsession du suicide, mais je sais que chaque conversation avec un psychiatre, le matin, à l’heure de la visite, me donnait l’envie de me pendre, sentant que je ne pourrais l’égorger. »
L’exposition présentée au musée d’Orsay réunit ces deux géants de souffrance, les textes d’Artaud – peints sur les murs- et ses dessins (des autoportraits le plus souvent) venant faire écho aux tableaux de Van Gogh que l’écrivain cite dans son livre. Les œuvres de chacun sont présentés dans des salles différentes. Un premier choc : celui de quatre « Autoportraits » de Van Gogh accrochés côte à côte dans la seconde salle. Réalisés entre 1887 (Van Gogh se trouve alors à Paris) et septembre 1889 (il est alors interné à Saint Rémy de Provence), ils témoignent tout à la fois de la transformation de la manière de peindre et de celle de sa propre attitude. Dans le portrait parisien, souligné de traits obliques rouge, vert, bleu et jaune, le peintre affirme la volonté d’un être lumineux et encore sûr de lui. Deux ans plus tard, son portrait à mi-corps est entouré de circonvolutions vertes, bleues et blanches, comme si l’artiste –dont le regard fixe le spectateur- était sur le point de se dissoudre dans l’air. Citation d’Artaud : « Que celui qui a su un jour regarder une face humaine regarde la portrait de Van Gogh par lui-même (…) » Et d’évoquer encore « cette figure de boucher roux qui nous inspecte et nous épie, qui nous scrute d’un œil torve ». Voilà pour les prémices.
La suite du parcours est rythmée par des thèmes liés à la couleur, au paysage, à la lumière, le point de vue d’Artaud n’étant jamais perdu de vue. Ainsi la salle sur cette fameuse « couleur roturière », prétexte ici à montrer ces tableaux où Van Gogh représente des harengs saurs, une paire de souliers ou encore un crabe sur le dos. Pour Artaud, Van Gogh est en effet un peintre de l’ordinaire, des petites choses et des objets de la vie. On ne s’étonnera donc pas de retrouver ici (parmi la quarantaine de tableaux de Van Gogh, soit une réunion exceptionnelle) « Le fauteuil de Gauguin », siège où sont posés deux livres et une bougie allumée.
De fait, malgré la présence des citations d’Artaud et quelques-uns de ses dessins, le visiteur a surtout l’impression d’assister à une exposition Van Gogh. Lui manque cependant une pièce majeure, ce célèbre « Champ de blé aux corbeaux » que Vincent peignit quelques jours avant sa mort et qui inspira vivement Artaud (il y voyait l’annonce de la mort du peintre). Le tableau, réputé trop fragile, ne quitte plus le musée Van Gogh d’Amsterdam. A défaut, le visiteur pourra le découvrir sous la forme d’une projection en très haute définition, permettant de découvrir les détails les plus infimes de cette ultime symphonie où Artaud entendait « les ailes des corbeaux frapper des coups de cymbale ».
Source : Bernard Géniès – Le Nouvel Observateur Publié le 12-03-2014